Aborder le numérique et gagner en efficience

La pandémie Covid-19 aura au moins eu le mérite d’interroger nos pratiques et obliger les organisations à trouver des solutions rapides à un problème donné.

Il est intéressant de constater avec quelle rapidité le télétravail s’est mis en place alors que depuis une bonne vingtaine d’années, cela semblait si compliqué à installer.
Cela démontre, si besoin était, que les moments de crises favorisent les évolutions et les réformes.

Toutefois, l’introduction de nouveaux outils tels le travail à distance n’a de sens que si l’on en connait les attentes et les points de mesure sans quoi, le télétravail ne sera à terme qu’un aménagement du confort des bureaucraties sans plus-value pour l’organisation et ses clients.

L’environnement statique

Nos organisations mécanistes ont été dessinées à l’usage d’un monde simple et prédictible. Il s’agissait de mettre en place des chaines de production pour des services ou des produits déterminés. Dans le fond, la seule question consistait à dimensionner la chaine de production et à l’adapter en fonction de la demande.

La chaine elle-même n’était capable de produire qu’un type de service ou de produit sans véritable souci apporté à la satisfaction du consommateur. Ce dernier n’avait de toute façon pas trop le choix.

Ce type d’environnement a contribué à la constitution d’organisations en silos et a forgé des bureaucraties professionnelles caricaturales.

Dans cet ancien monde stable et homogène, un comportement conservateur était valorisé. Dans ces structures, les évolutions sont quasi impossibles tant l’inertie est importante. Les plus figés refusent tout progrès au risque de disparaitre lorsqu’il existe une concurrence.

L’environnement dynamique

Jusqu’il y a peu, les outils étaient tout au plus des automates destinés à une fonction unique. Au contraire, le numérique, outil plastique et adaptable, offre d’infinies possibilités, ce qui le rend pertinent dans tous les domaines d’activités. De plus, notre environnement est devenu instable et peu prédictible, ce qui implique une capacité d’adaptation élevée pour survivre aux aléas.

L’outil numérique nous force à réinventer notre façon de travailler car il est intrinsèquement disruptif.
Une évolution est une amélioration d’un processus en place, elle peut être abordée en interne par des personnes soucieuses d’optimiser leurs propres processus.
En revanche, la disruption casse potentiellement la totalité du processus en place qu’il faut réinventer. Il est donc très difficile de faire conduire le changement par des personnes internes à l’organisation.

Demander aux acteurs de l’organisation d’imaginer des solutions disruptives a toutes les chances d’échouer ou de déboucher sur un résultat peu convaincant. A titre d’exemple, nous avons tous expérimenté des services en ligne ardus, peu pratiques et qui demandent de renseigner des informations parfaitement superflues.
Les causes sont souvent imputables à la façon dont les projets ont été menés : ils ne réinterrogent jamais le sens même du processus et sont rarement pensés dans une perspective de confort de l’usager.

De façon souvent inconsciente, ces projets sont abordés pour optimiser le confort de la bureaucratie. D’où mon avertissement en introduction concernant le télétravail.

Le numérique permet de travailler plus intelligemment, il offre un avantage compétitif et il est efficient. Pour ces raisons, les organisations ne peuvent plus faire l’économie d’une démarche sérieuse d’interrogation de leurs processus de production en intégrant les possibilités des technologies actuelles dont le numérique fait partie. C’est ce qu’on appelle une démarche « 4.0 ».

En particulier, la délicate situation financière actuelle des Etats et de leurs administrations doit inciter à questionner les processus de production. En effet, ils fonctionnent souvent de manière archaïque en comparaison avec d’autres secteurs. Trouver des sources d’efficiences devient une nécessité.

Comment faire ?

Nous l’avons vu, les démarches internes ou les démarches top-down produisent de piètres résultats.
J’identifie trois causes principales :

  • La proposition reproduit l’organisation existante.
  • La proposition n’est pas imaginée comme un processus intégré.
  • La proposition n’est pas destinée à faciliter la vie de l’usager.

Je préconise une approche que j’ai baptisée « design piloté par le résultat ».
La méthode consiste à examiner le résultat final souhaité et de formaliser le processus en fonction de cet objectif. Elle permet de se recentrer sur la mission. Ainsi, l’expérience du client est l’arbitre de la pertinence de la proposition dont on s’attend qu’elle soit : utile, simple et rassurante.

Utile : la demande de l’usager doit faire du sens pour lui, elle doit être légitime donc utile.
La compréhension intime de ce qui est attendu par l’usager doit guider le but de la démarche.
Par exemple, une attestation demandée à l’administration et destinée à la même administration ne fait aucun sens, elle n’est donc pas perçue comme utile.
Il faut être attentif à ce qui peut sembler utile pour l’émetteur du service ne l’est pas pour l’usager. Par exemple, demander des coordonnées personnelles pour obtenir une simple liste de prix est perçu comme intrusif.

Simple : la simplicité guide le processus. Pour n’importe quelle démarche, seul le strict minimum est demandé et la compréhension du processus doit être évident et immédiat. Il faut bannir les explications complexes et les formulaires à rallonge. L’objectif de simplicité permet la rapidité.
Un bon exemple est le portail web de la compagnie EasyJet. Il offre une façon très ergonomique et simple de réserver un vol.

Rassurante : le processus n’engendre pas le doute chez l’utilisateur. Il sait ainsi tout au long de la démarche où il en est, où il va et quand et comment le service sera délivré. Il est accompagné de façon rassurante durant tout le processus.
Par exemple, les marchands en ligne rassurent l’usager en offrant des services d’évaluation de produit, d’évaluation du marchand, de suivi postal.

Le design piloté par le résultat (DPR ci-après) implique donc une démarche vertueuse avec plusieurs bénéfices à la clé.

  • Le DPR s’affranchit des organisations et des silos.
    L’unité, le service ou le département dans lequel le service est produit ne concerne pas le client. Cet aspect doit être totalement invisible pour ce dernier

    Par exemple, une demande de passeport, une demande d’attestation de police, un changement de véhicule ou une attestation de solvabilité sont produits par des services différents. Aujourd’hui chaque service imagine son propre processus de façon isolée et avec ses propres contraintes.

    Analyser ces demandes selon le DPR permet de déduire que toutes ces prestations disparates portent finalement sur la production de documents. La prestation doit être délivrée de façon cohérente, uniforme et dans un portail qui facilite la vie de l’usager en occultant la mécanique organisationnelle.
  • Le DPR interroge la simplicité du processus.
    L’Union Européenne s’est fixé l’objectif de ne demander qu’une seule fois une information à l’usager. Cet objectif a été repris à Genève dans le discours de Saint-Pierre en 2005 (!).
    Les informations demandées à l’usager seront limitées au strict nécessaire. Les spécificités de chaque processus trouveront le chemin le plus simple et logique possible afin de créer une expérience client la plus fluide possible.

    Pour reprendre l’exemple d’une attestation, une authentification est suffisante et le document doit immédiatement être produit sous forme numérique, sans aucun retard.
    Le contre-exemple est la e-demande de passeport qui exige de renseigner un lot d’informations superflues telles que l’adresse, le numéro de l’ancien passeport, nom du père et de la mère.
  • Le DPR interroge l’intégration du processus.
    Le traitement électronique doit impliquer une automatisation complète des processus. L’objectif est d’éviter toute intervention humaine. Pour l’usager c’est l’expérience d’une prestation délivrée de manière rapide d’autant que l’immédiateté est devenue son quotidien.
    Cette exigence implique que les informations nécessaires à produire une prestation sont consolidées, parfois de manière transversale en exploitant les bases de données de façon entièrement automatisées.
    Les banques offrent de bons exemples d’une intégration poussée : opération financières, trafic des paiements, état des comptes, informations boursières, tout passe par un portail homogène et entièrement automatisé.
  • Le DPR interroge la transparence du processus.
    A n’importe quel moment l’usager est accompagné dans son parcours, le système l’informe sur le délivrable et les conditions dans lesquels la prestation est fournie.
    L’usager peut suivre les étapes de sa demande et en connaitre le statut. Pour l’usager c’est l’expérience d’une prestation délivrée de façon rassurante.

    Par exemple, avant un voyage qui implique un changement d’avion, Air France envoie un message et indique comment se déplacer dans l’aéroport pour atteindre son prochain vol et combien de temps cela va prendre. Ainsi le voyageur est rassuré dans cette l’expérience toujours stressante qu’est le transit dans un aéroport.

Pour résumer, dessiner un processus de production selon le DPR consiste à partir du résultat et de créer le processus afin d’offrir une expérience client la plus utile, rapide, simple et rassurante.
Une fois les objectifs fixés par la démarche du DPR, le projet peut être démarré avec la quasi-certitude qu’il créera non seulement de la satisfaction client mais qu’il générera de l’efficience dans la façon de produire la prestation.

Avec qui ?

Jusqu’à présent, les acteurs d’un projet informatique étaient le donneur d’ordre (les responsables opérationnels) et l’informaticien, ce dernier tentant de traduire la demande du donneur d’ordre en une solution informatique. Le gros défaut de ce type de démarche est qu’il ne réinterroge pas la façon de travailler.
Donc, soit on implémente une solution logicielle standard qui cadre le processus mais ne correspond pas tout à fait au besoin, soit on développe une solution qui reproduit l’existant et ses incohérences organisationnelles.

Pour qu’un projet de numérisation d’un processus soit un succès, il convient, selon moi, d’ajouter deux métiers :

  • Un designer de l’organisation (dans l’industrie appelé un agent de méthode)
  • Un ergonome

Le designer de l’organisation reformule l’organisation en fonction des objectifs du DPR. Il challenge les acteurs en place pour trouver l’organisation la plus efficiente, en dehors des contingences de structure. Il trouve des solutions pour simplifier les processus et optimise les gains en productivité. Il veille à ne pas générer « d’usine à gaz » et il arbitre la pertinence d’une automatisation.

L’ergonome travaille avec le designer de l’organisation, il est le garant d’une expérience client fluide et rassurante. Il analyse les attentes du client et comprend les ressorts émotionnels d’une expérience réussie.
Il challenge les informaticiens et les techniciens pour arriver à des interfaces les plus logique et les plus simples possibles.

Les informaticiens et les techniciens sont en charge de l’implémentation de la solution technique. Ils apportent leur expertise, ouvrent le domaine des possibles et challengent le designer en apportant des solutions pertinentes.

Les responsables opérationnels, qui auparavant dirigeaient le projet, ont désormais une voix consultative. Ils formulent les spécificités du métier, produisent leur analyse de risque, détectent les « points chauds ».

Au moment de la conception, les quatre acteurs se challengent pour trouver la solution la plus satisfaisante pour le client. Sans oublier que la prestation ou le service n’ont pas pour vocation de répondre à tous les cas, automatiser des cas complexes et marginaux n’a aucun sens.

En conclusion, numériser est un métier qui demande des compétences que n’ont généralement pas les opérations. Le temps du bricolage, des livres blancs et des rapports de prospective est révolu. Notre environnement nous impose de réinterroger concrètement nos fonctionnements en fonction des possibilités actuelles. Je ne suis pas loin de penser que c’est une question de survie. En tout cas, nombre de secteurs économiques l’apprennent à leur dépens.

© Pascal Rulfi, mai 2020.

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