Au royaume des psychopathes les bienveillants sont rois.

Le réseau social Linkedin regorge de coach de toutes sortes, allant des facilitateurs d’apprentissages holistiques, aux alchimistes de la transition, en passant par les bonzes de la frugalité positive. D’autre part, j’observe une forme de radicalisation de la violence, que ce soit dans les entreprises ou dans la société civile. Le durcissement des fronts m’interpelle et les récentes frasques d’Elon Musk sont le prétexte à ce billet.

Au rayon des psychopathes.
Nul n’a pu échapper au rachat du réseau social Twitter par le très médiatique Elon Musk, patron fantasque des fusées SpaceX et de la marque automobile Tesla.

Ce rachat rocambolesque à 44 milliards de dollars a certainement perturbé le sommeil du serial entrepreneur. Ce n’est pas avec les bénéfices du réseau gazouillis que le nouveau propriétaire va se refaire. En effet, de 2010 à 2021 les pertes nettes cumulées de Twitter se sont élevées à 1.305 milliards de dollars.

Pour le commun des mortels, l’ampleur de ces chiffres vertigineux nous dépasse au moins autant que la stratégie qui a présidé à cet achat. Mais là n’est pas mon propos, ce qui retient mon attention, c’est la rare brutalité avec laquelle Monsieur Musk a licencié 50% de l’effectif immédiatement après son emplette.

La majorité des employés ont été avertis par un simple mail. Un collaborateur raconte avoir compris être licencié après avoir été éjecté en pleine visioconférence car son accès avait été révoqués sans autre forme de procès. Un licenciement massif et en fanfare quitte à réengager quelques collaborateurs dont on s’aperçoit après coup qu’ils sont indispensables au bon fonctionnement de la plateforme.
Quant aux employés restants, certains ont reçu l’ordre de travailler douze heures par jour, sept jours sur sept.

La méthode n’est pas nouvelle, au mois de juin 2022, la direction de Tesla a décidé de virer 10% de ses effectifs, soit 10’000 personnes, suite à un « mauvais pressentiment » du patron, l’ineffable Elon Musk.

Est-ce que ce comportement peut être expliqué par le syndrome d’Asperger dont le Sieur Musk se proclame être atteint ? Ce trouble neurologique est caractérisé par une déficience marquée dans les interactions sociales et un trouble de la réciprocité. Ceci expliquerait cela.
Arrogants, manipulateurs, insensibles, séducteurs, dominants et n’ayant peur de rien sont les qualités attribuées aux psychopathes. Des qualités qui m’interpellent, aux psychiatres de nous éclairer.

Au rayon des bisounours.
A l’opposé de ce monde extrêmement brutal, nous observons l’émergence de concepts de management mièvres et fumeux. Bienveillance, bonheur au travail, babyfoot et autres gadgets réunis sous le vocable de bullshit management par ses détracteurs. Ils sont le pendant à la brutalité dénoncée précédemment, un sparadrap curatif pour panser les plaies des plaies du management brutaliste.

Le Chief Happiness Officer formé en trois jours est le cache-sexe des dirigeants schizophrènes et psychopathes qui promettent aux actionnaires la révolution disruptive à chaque rapport trimestriel.

Finalement cette bienveillance ordonnée est une délégation professionnalisée d’une forme de paternalisme d’antan. Je me dis qu’il faut avoir perdu pied dans la réalité de ce qu’est une entreprise pour accueillir cette bouillie de bons sentiments sans se sentir infantilisé, voire humilié.

A ce propos, on lira l’excellent ouvrage à paraitre « Leadership, agilité, bonheur au travail…bullshit ! » [de C. Genoud, édition Vuibert, avril 2023] qui décrit et questionne ces nouvelles tendances du management en s’appuyant sur une abondante et solide littérature spécialisée.

Ce gloubi-boulga managérial est une tentative de normalisation de différentes pratiques théorisées, si possibles brevetées qui génèrent un nouveau marché ; celui du conseil en management. On peut y voir une adaptation du principe de Lavoisier : rien de se perd, rien ne se crée mais tout se monétise.

Nous, le vulgum pecus.
Enthousiaste, extravagant et sans filtre, Elon embarque les foules dans ses délires dont certains, il faut le reconnaitre, aboutissent. Bien d’autres ont utilisé les mêmes ficelles, certains de triste mémoire.

Mais quel besoin avons-nous de déifier les marchands de promesses et les vendeurs de lendemains qui chantent ? Pourtant nous sommes avertis : les promesses n’engagent que ceux qui y croient.

Alors que le surhomme n’existe pas, nous voulons croire à cette fable. L’homme providentiel est très rare et dépend fortement d’une conjoncture particulière. Dès lors, nous devrions nous poser la question à l’envers : qu’est-ce qui pousse un individu à monter sur le podium ? Quelle force anime cette personne pour croire à son brillant destin ? Quel orgueil démesuré le pousse se croire providentiel ? Est-il prêt à tout pour accomplir son projet ?

En conséquence, nous devons réfléchir et maitriser notre propension atavique à idolâtrer le supposé Übermensch. Posons-nous ces questions : de quoi souffre-il ? Où nous mène-il ? Quels dangers nous fait-il courir ?
Répondre à ces questions devrait calmer nos ardeurs car,

Il ne suffit pas de vouloir très fortement pour pouvoir n’importe quoi.

En déclinant cette réflexion, je m’interroge sur ce que nous percevons comme l’élite. Des personnes formées dans des écoles supposées d’élites, maitrisant un réseau d’élites, adoptant les codes et le langage des élites, le tout pour mieux mystifier les manants que nous sommes à leurs yeux.

Evitons de donner une prime à ceux qui parlent fort, qui entourloupent par leurs effets de manche ou qui débitent des inepties afin de flatter nos bas instincts.
En revanche, sachons détecter et respecter les savoirs, reconnaitre les expériences et apprécier les réalisations. Quelle que soit la personne et quel que soit le domaine.

Finalement.
Me concernant, j’ai envie de conclure ainsi ce billet d’humeur :

  • A la bienveillance, je préfère la justice et le respect.
  • A la brutalité managériale, je préfère le sens et le respect.
  • Aux hommes providentiels, je préfère des humains dont les parcours et les projets m’inspirent.
  • J’ai une sainte horreur qu’on me prenne pour un idiot.
  • La soumission aveugle ne fait pas partie de mon possible.

Je suis certain n’être pas seul à ressentir les choses ainsi.
A bon entendeur !

S’agissant de Musk, il a su créer le buzz avec sa marque automobile Tesla, son positionnement a été intelligent, sa vitesse de réaction a enfumé toute la concurrence et sa progression a été époustouflante. Ceci dit, les acteurs établis n’ont pas dit leur dernier mot et ont parfaitement la capacité de reprendre la main, simplement parce que leurs ressources sont importantes.
La concurrence va faire rage. Par exemple, janvier 2023, la conduite autonome de Tesla a été jugée moins efficace de celle proposée par Mercedes. Ajoutons que la baisse des prix érode les marges, ce qui se répercutera sur la valeur de l’action, donc de sa capacité à investir.
Au mieux, Tesla se normalisera.
De demi Dieu, le patron de Tesla pourrait ainsi être voué aux gémonies à plus ou moins brève échéance. Hominem te esse memento, souviens-toi que tu es un simple mortel pourrait on lui murmurer à l’oreille comme le faisaient les esclaves lors du triomphe dans les rues de Rome du général victorieux.

© Pascal Rulfi, février 2023.

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