Moteurs et CO2, progrès ou esbroufe ?

La notion d’émission de CO2 est connue du grand public depuis que la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique sont devenus des préoccupations importantes de la communauté scientifique et des gouvernements.

En Europe, environ 75% des émissions liées aux transports sont dues aux automobiles et aux camions. On comprend donc l’importance de réduire drastiquement ce type d’émission.

C’est ainsi que les gouvernements mettent en place des politiques visant à pénaliser les véhicules polluants sous la forme de taxes improprement appelées « écologiques ».

Depuis l’introduction de ces taxes, les constructeurs ont réagi et annoncent de spectaculaires baisses des émissions de CO2 à chaque génération de véhicules. Mais est-ce que les progrès sont réellement aussi importants que clamés?

Le CO2

Le dioxyde de carbone est produit lors de la transformation chimique découlant de la combustion d’un carburant. Il est proportionnel à la consommation en carburant d’un véhicule et dépend du type de carburant.

Soit :

  • 2’600 grammes de CO2 par litre de diesel,
  • 2’280 grammes de CO2 par litre d’essence,
  • 1’660 grammes de CO2 par litre de GPL.

Baisser le CO2

Par conséquent, si l’on veut baisser les émissions de CO2, il faut baisser la consommation des véhicules. Nous allons examiner ci-après les paramètres qui permettraient de limiter l’impact environnemental.

Diminuer la consommation implique de diminuer l’énergie à déployer pour déplacer une voiture. Les deux causes qui sont à prendre en compte sont :

  • les frottements
  • la masse.

Les frottements sont de diverses origines : frottements internes de la mécanique, résistance à l’air, résistance des roues sur le sol.

S’agissant de la résistance à l’air, il faut savoir qu’elle est proportionnelle au carré de la vitesse. Ainsi pour diminuer ces frottements, il faut un véhicule aérodynamique doté d’une faible surface exposée. Tout le contraire d’un « SUV » à l’aérodynamique d’armoire normande.
La vitesse implique une grande consommation d’énergie. Il est donc nécessaire de la limiter comme le montre le diagramme ci-dessous :

Quant à la masse, elle exige de l’énergie lorsqu’on accélère le véhicule ou lorsqu’on lutte contre la gravité en escaladant une côte.

Le processus n’est pas réversible car l’énergie cinétique n’est pas récupérée lors de ralentissements. En effet, le freinage détruit l’énergie par frottement donc par dissipation thermique.

On remarque que plus les véhicules sont lourds plus ils nécessitent des pneus dotés d’une surface de contact avec le sol importante. Cela induit plus de frottement donc une dépense d’énergie plus élevée. Ceci ne constitue pas un cercle vertueux.

Comme l’affirmait Colin Chapman, le fondateur de Lotus, « light is right », le poids c’est l’ennemi. Pourtant, les voitures n’ont cessé de prendre du gras.

Ainsi, en 40 ans, l’ampleur de la prise pondérale est de l’ordre de 60%, ce qui ne constitue pas vraiment un progrès.
Cette augmentation est en partie explicable par la sécurité passive réelle et par le confort que les voitures modernes apportent.

Les moteurs

De mon point de vue, les deux progrès notables des moteurs thermiques de ces trente dernières années sont la fiabilisation et l’injection.

Contrairement au pastis dont le mélange idéal est de 5 pour 1, le moteur à essence s’apprécie avec un mélange théorique idéal de 15 volumes d’air pour 1 volume d’essence appelé mélange stœchiométrique.
Par le passé, ce mélange était obtenu par un carburateur dont la précision du dosage laissait à désirer. Aujourd’hui, l’injection – couplée à la sonde lambda qui mesure la qualité de la combustion des gaz – permet un juste dosage du carburant injecté dans le moteur. Le résultat est une diminution du niveau des rejets polluants et de la consommation.

Au-delà de ça, un moteur à explosion fournit un travail dont le rendement maximum est fixé par les principes de la thermodynamique formulés en 1824 par Sadi Carnot. Le rendement maximal calculé par Sadi Carnot fait l’hypothèse de conditions théoriques pour un cycle réversible (pas de dissipation).

Sans rentrer dans les détails du cycle thermodynamique, on retiendra que le rendement maximal (ratio de la puissance mécanique restituée par rapport à la puissance thermique fournie par le carburant) d’un moteur est de l’ordre de 30 % à 35 % pour l’essence et de 40 % à 45 % pour le Diesel.

Il s’agit bien d’un rendement maximum obtenu dans des conditions particulières. En réalité, le domaine d’exploitation d’un moteur montre des zones ou le rendement est plus faible comme l’illustre le diagramme suivant:

Le diagramme nous montre que le rendement maximum du moteur à essence qui fait l’objet de l’analyse se produit à un régime compris entre 2000 et 3000 t/min et pour une couple d’environ 140Nm. Conditions atteintes avec une pédale des gaz enfoncée aux 2/3 de sa course.

Sachant que le rendement maximum d’un moteur est fixé par les lois de la thermodynamique il est impossible d’augmenter significativement son rendement.

Le travail des motoristes va donc consister à user d’astuces pour diminuer la consommation. Les domaines de recherche sont :

  • Diminuer les pertes de charges. Par exemple en découplant des charges inutiles lorsque c’est possible (arrêt de l’alternateur ou de la climatisation, stopper le moteur à l’arrêt…),
  • Optimiser l’exploitation dans son domaine de rendement. Par exemple en augmentant le nombre de rapports d’une boite à vitesse automatique et la gérer par un calculateur,
  • Augmenter le domaine d’exploitation optimum. Par exemple avec l’injection directe et la suralimentation sur des moteurs de plus petite cylindrée.

Ces progrès s’obtiennent au prix d’une complexification technique notable dont on peut attendre une fragilisation de l’ensemble. Le tout pour une baisse réelle de consommation qui reste à prouver.

En réalité

Les émissions de CO2 découlent de la consommation d’un véhicule, consommation calculée sur la base d’un parcours normalisé fixé par la directive européenne 70/220/CEE qui date de 1973.

La procédure d’homologation est fortement sujette à caution tant elle ne reflète pas les conditions d’utilisation réelles. Accélérations, température, résistance, le protocole de test fixe des paramètres fantasques tels que des accélérations excessivement lentes (0 à 70 km/heure en 43 secondes).

S’agissant des voitures hybrides, le cycle de test leur est particulièrement favorable puisque les trois quarts du test sont effectués sur les batteries. Ainsi une berline Volvo V60 hybrid est annoncée à 1.8 litres aux cents, ce qui est parfaitement utopique.

De plus, les constructeurs préparent les voitures pour l’homologation et adoptent des astuces pour obtenir de meilleurs résultats, parfois par des moyens relevant de la fraude. On raconte que les calculateurs de bord sont capables de détecter un cycle d’homologation et adaptent les paramètres afin d’optimiser les consommations.

On l’aura compris, les consommations officielles sont très largement sous évaluées et irréalistes dans des conditions de conduite normales.

Les taxes CO2 étant directement calculées sur ces consommations normalisées, nous pouvons ainsi soupçonner les constructeurs d’élaborer des solutions dans le seul but de performer aux tests de consommation.
Par exemple, en France, il serait fortement disqualifiant d’écoper d’une pénalité de 2’000 euros sur un véhicule coûtant 12’000 euros, d’où l’importance vitale de réduire la consommation officielle.

En outre, certaines solutions censées apporter des économies de carburant péjorent les consommations dans les faits. Par exemple, un allongement excessif des rapports de boite permet d’afficher des résultats flatteurs lors du test, mais a un effet contraire au quotidien : en effet l’automobiliste aura tendance à appuyer davantage sur l’accélérateur pour relacer un véhicule devenu apathique.

Notons qu’une nouvelle procédure mondiale établie par les Nations Unies (Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures) devrait rentrer en vigueur et mieux refléter les consommations réelles des véhicules.

Conclusions

Les lois de la physique sont ce qu’elles sont. Déplacer une masse exige une énergie définie qui est fournie par un moteur dont le rendement a peu évolué dans le temps.

Par conséquent, les progrès fulgurants vantés par les constructeurs sont certainement moins importants que clamés. Fort de ce constat, la lutte contre les émissions de CO2 semble un miroir aux alouettes et les communications ont tout du « green washing ».
Les as de la mercatique ont inventé des labels fleurant bon la propreté immaculée (eco2, BlueEfficiency, BlueMotion …) qui relèvent plus de l’esbroufe que d’une réalité quelconque.

La communication sur le CO2 a le mérite de sensibiliser les consommateurs sur un paramètre qu’ils connaissaient déjà : la consommation de carburant.

En revanche, il est douteux que les pouvoirs publics se basent sur des normes vieilles de plus de 40 ans pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Doit-on soupçonner une certaine complaisance vis à vis d’un secteur pourvoyeur d’emplois ? Je laisse à chacun le soin de se forger son opinion.

Proposition pour mesurer une consommation réaliste

Normaliser une consommation est une démarche qui me semble vouée à l’échec. On peut se rapprocher d’une consommation plus réaliste mais la norme fera obligatoirement abstraction d’un ensemble de paramètres dont notamment le comportement des conducteurs.

En clair, l’acquéreur d’une Porsche ou d’une Ferrari n’aura certainement pas l’ambition de faire de l’éco-conduite avec son bolide quand bien même il serait probablement possible d’atteindre des consommations normalisées raisonnables.

D’ici octobre 2015, les voitures neuves devront être équipées d’un système d’alerte automatique en cas d’accident. Ce dispositif s’appuie sur des détecteurs de collision, un système de géolocalisation (GPS) et une connexion au réseau mobile. Ainsi, en cas d’accident la voiture appelle toute seule un central et signal sa position. Les voitures sont donc devenues des objets communicants.

Dans une approche « web 2.0 », il suffit d’ajouter dans l’arsenal électronique le débitmètre d’essence qui est par ailleurs un équipement largement diffusé. Ainsi, il suffirait de collecter les consommations réelles mesurées de chaque véhicule pour avoir une estimation assez précise d’un modèle de voiture.

Seraient alors communiqué aux consommateurs les traditionnelles mesures de consommation normalisées ainsi que la consommation moyenne réelle observée qu’un organisme indépendant pourrait être chargé de collecter.

Post scriptum

Deux modèles récents ont été testés par la presse spécialisée et confirment mon propos.

L’essai du tout nouveau Nissan Qashqai 1.2 DiG-T équipé d’un moteur essence ultra moderne embarquant toutes les technologies sensées abaisser la consommation d’essence (downsizing, turbo, injection directe).
Pour cette voiture de 1’350kg, la consommation normalisée de 5.6 litres/100 est flatteuse.
Verdict des essayeurs (caradisiac.com – janvier 2015), la consommation moyenne réelle mesurée est de 8.1 litres aux cent soit 45% de plus qu’annoncé. En ville la consommation bondit entre 9 et 12 litres aux cent: un gouffre !

Le test de la nouvelle Smart Forfour, qui partage sa plateforme avec la Renault Twingo, est tout aussi édifiant. Cette citadine de moins d’une tonne est équipée d’un moderne 3 cylindres essence de 999 cm3 qui promet une consommation de 4,2 l/100 km et 97 g/km de CO2.
Malheureusement, un moteur 3 cylindres demande à être cravaché pour bien fonctionner. Lors d’une conduite qualifiée de dynamique par les essayeurs (turbo.fr – janvier 2015), cette petite citadine a englouti plus de 11 litres aux cent.

Manifestement, les miracles sont à Lourdes.

© Pascal Rulfi, janvier 2015

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