Un beau pays où l’on va à la guerre en Mercedes

L’automobile est un domaine où le consommateur pense être rationnel dans ses décisions d’acquisition. En réalité il agit le plus souvent de façon émotionnelle sur un objet porteur de fantasmes.

J’ai souvenir d’une polémiques dans les années 90 au sujet des berlines d’une marque allemande prestigieuse mises à disposition des officiers de l’armée Suisse.
Le slogan « quel beau pays où on va à la guerre en Mercedes » avait fait mouche.

Je me propose d’aborder les aspects de positionnement de marque dans le domaine automobile et démystifier ce qui nous choque lorsqu’on associe Mercedes et biens publics.

Le bonjour d’Alfred

Dans les années 1920, Alfred Sloan, directeur chez General Motors posa les bases de la segmentation de marché dans l’automobile. Il subdivisa son groupe en cinq marques en leur accordant une autonomie et en leur attribuant un segment de marché basé sur une catégorisation sociologique.
Les segments étaient définis en fonction du revenu des acheteurs. Chevrolet pour les plus modestes, Cadillac pour les plus riches, en passant par Pontiac, Oldsmobile et Buick.
Ainsi, en fonction de l’évolution de ses revenus, la clientèle pouvait s’afficher avec des marques représentatives de sa position sociale et de son ascension.

Notons qu’il inventa aussi ce que nous appelons aujourd’hui la plate-forme. Les carrosseries changeaient d’aspects alors que tout ce qui ne se voyait pas était identique. En clair, châssis, moteur et pièces de base étaient standards pour toutes les marques tandis que la robe changeait toutes les années créant l’illusion de la nouveauté. Un marketing omniprésent et efficace entretenait savamment le mirage de l’innovation.

Marques et plate-forme

Les bases posées par l’industrie américaine entre deux guerres ont perduré jusqu’à nos jours et ont pris un essor particulier en Europe. La meilleure illustration en est le groupe allemand VAG qui, pour l’automobile comprend un vaste portefeuille de marques couvrant tous les segments (Audi, Bentley, Bugatti, Lamborghini, Porsche, Seat, Skoda, Volkswagen).

Gardons de ce portefeuille que les marques qui produisent en grande série soit: Audi, Seat, Skoda, Volkswagen et marginalement Porsche. Nous nous apercevons que la stratégie de segmentation est proche de celle fixée par General Motors il y a 90 ans.
Chaque marque a son territoire, délimité notamment par son niveau de prix. Audi représente ainsi la Cadillac d’autrefois.

Bon nombre de moteurs sont communs aux véhicules des différentes marques, de même les principaux modèles reposent sur des plates-formes identiques, cela de Skoda à Porsche.
Par exemple, la récente plate-forme « MQB » sert de socle commun qui permet de construire de la plus petite citadine à la plus grosse berline. Cette plate-forme universelle est utilisée pour toutes les marques du groupe VAG et pour tous les modèles dont le moteur est disposé transversalement.

Par conséquent, les qualités intrinsèques de tous ces modèles sont les mêmes, en particulier en terme de fiabilité et de robustesse.

Premium

Le marketing a créé un segment appelé « premium » dont les produits sont caractérisés par un prix de vente élevé. Le premium se positionne entre le produit de consommation de masse et le produit de luxe.

Audi évolue dans le segment des marques « premium ». En Europe Audi, BMW, Mercedes et Volvo occupent ce marché.

L’image valorisante de ces voitures est là pour flatter ceux qui les possèdent. En revanche, elles ne s’avèreront pas plus fiables ou plus robustes que celles de la marque plus populaire dont elles dérivent.

Les militaires hier, l’administration aujourd’hui

Dans les années 90, la population suisse s’était émue de voir l’armée suisse circuler en Mercedes. La polémique qui s’en suivit était justifiée, puisque comme on vient de le voir, ces voitures tiennent davantage du prestige que de critères objectifs.

Or, l’histoire semble se répéter puisqu’aujourd’hui nombre d’administrations acquièrent de luxueuses voitures pour leur parc.

Ainsi on peut voir circuler dans nos rues de belles voitures de prestiges comme par exemple :

Douanes Suisse : BMW X3, Volvo V70
Police des transports CFF : BMW X3
Police Genevoise : Volvo XC60, Volvo XC70
Police municipale : BMW Série3 Touring

TPG : Volvo XC60

Pour prendre l’exemple des voitures d’intervention des TPG, le choix d’acquérir de gros SUV (Sport Utility Vehicle) d’une marque de prestige ne semble trouver aucune justification.

Dans un contexte où les services publics clament leurs efforts en faveur de l’efficience et des économies, il est particulièrement maladroit d’afficher de luxueuses voitures de service. Même achetées avec d’importantes remises, ces autos ne donnent pas l’image d’une utilisation parcimonieuse des deniers publics.

Bien entendu ces seuls excès ne grèvent pas les finances de façon déterminante mais dans un domaine aussi émotionnel, c’est afficher de façon caricaturale le manque d’attention porté aux biens publics.
Par extension et considérant que ce n’est que la pointe visible de l’iceberg, les conclusions seront vite trouvées.

Dans le contexte budgétaire difficile des TPG, en particulier depuis les dernières votations sur les tarifs des transports, la maîtrise des coûts d’exploitation est essentielle. La direction clame ainsi que tous les efforts ont été entrepris. Il est dès lors surprenant que les TPG ne réalisent pas le hiatus entre la communication officielle et l’image renvoyée à la population par le simple fait de circuler dans des véhicules luxueux.

Si le risque de provoquer une affaire d’Etat est quasi nul, en revanche, c’est dans la durée que l’impact sur l’image se fait sentir.
Il appartient aux décideurs d’évaluer l’image de marque qu’ils souhaitent donner des institutions et examiner la pertinence de leurs acquisitions.

© Pascal Rulfi, décembre 2014

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