J’ai eu l’occasion d’intervenir dans nombre d’entreprises dans divers secteurs d’activité. J’ai ainsi constaté qu’il était des lieux dans lesquels je me suis senti immédiatement à l’aise alors que d’autres m’ont semblé désagréables à vivre.
La configuration des lieux de travail est beaucoup plus importante qu’il n’y parait. Sensible aux ambiances et aux tensions, j’ai pu observer des lieux qui créaient des climats pesants ou qui ne favorisaient pas l’échange.
Les PME ont rarement l’occasion de se pencher sur leur environnement de travail. Elles occupent des espaces dont la configuration a souvent été imposée. Pour les plus chanceuses, celles qui ont l’occasion de créer leur propre espace, elles commandent des projets d’architecte dont j’ai pu constater que l’issue n’est pas toujours heureuse.
Je me garderai bien d’émettre un jugement sur la qualité architecturale de tel ou tel édifice tant je suis ignorant en la matière. Toutefois, si je retiens le principe « la fonction crée la forme » édicté par les architectes fonctionnalistes, j’observe que la finalité des lieux n’a pas toujours été prise en compte.
Je précise que les environnements qui suscitent mon intérêt sont liés à la création, l’innovation et/ou l’ingénierie. Cela exclu à priori les activités de production, qu’elles soient industrielles ou administratives, qui supposent des tâches fixes et stables.
Peu agréable
Parmi les environnements qui me sont apparus comme contreproductifs, j’ai identifié quelques configurations peu propices au bien-être :
Les grands bureaux paysagers (open space)
Les arguments qui défendent ce type d’aménagement sont : le gain de place donc de coûts, une meilleure communication et ce qui est moins avouable, la surveillance mutuelle.
Pour ma part, le manque d’intimité, le bruit et la perception d’un manque de respect de l’individu rendent cette configuration désagréable voire contreproductive. Toutefois le bureau ouvert n’est pas à proscrire.
Le bureau fermé
Strict opposé de l’open space, le bureau individuel et fermé ne favorise pas l’échange et a tendance à isoler son occupant.
Les processus de création ou ceux qui nécessitent des échanges ne trouveront pas leur compte dans cette configuration.
Les longs couloirs
J’ai eu l’occasion d’expérimenter des configurations de locaux tout en longueur à plusieurs reprises.
Étrangement, j’ai constaté que cette disposition créait un sentiment de malaise qui ne favorisait pas la collaboration et l’échange. Le couloir est généralement vide. Les usagers ont tendance à se retirer dans un bureau comme si discuter dans le couloir au vu et au su de tout le monde était mal jugé. Lorsqu’ils se déplacent, ils accélèrent le pas comme pour fuir cette zone perçue comme inconfortable et se réfugient dans un bureau.
J’ai même observé dans une entreprise une polarisation du « territoire » avec « ceux du sud » et « ceux du nord » alors que la longueur du couloir était inférieure à 15 mètres !
Identifier les conditions favorables
Je me demande alors quelle serait la configuration la plus propice pour favoriser la collaboration et la productivité intellectuelle.
Cette réflexion s’appuie sur ma propre expérience, principalement dans un environnement lié au développement de logiciels et de services dans le domaine des technologies de l’information mais généralisable dans nombre d’autres activités.
La création de valeur par l’innovation est favorisée par l’interaction entre individus d’horizons différents mais également par la concentration.
Le mix est une respiration qui oscille entre des périodes d’échanges, des périodes de réflexion et des périodes de production.
Les périodes de production nécessitent le calme et le silence pour une bonne concentration mais également une ambiance décontractée et agréable.
Les périodes de réflexion individuelle doivent permettre de se concentrer sans être dérangé par des sollicitations externes.
Les périodes d’échanges prennent différentes formes de par la diversité des interlocuteurs et le mode d’échange (cafés, séances, brainstorming, etc). De plus les périodes d’échange informelles favorisent la cohésion du groupe.
Les échanges structurés sont organisés et les participants sont invités pour traiter différents sujets en principe fixés d’avance. C’est la séance que nous connaissons tous et dont l’abondance débouche sur une efficacité relative.
Un des challenges de l’innovation est de provoquer des échanges fructueux entre des personnes venant de différents horizons. L’objectif est de briser les silos, échanger, partager des idées hors des conventions, dans un esprit constructif et empreint de liberté.
D’autre part, les groupes de travail ne devraient pas être figés. Le brassage permet des partages d’expérience et de compétences qui enrichissent une forme d’intelligence collective.
A ce titre, je remarque que c’est exactement ce que proposent les espaces de co-working qui matérialisent une façon très actuelle de travailler.
Favoriser la collaboration et l’innovation
Quels seraient les besoins en matière d’aménagement ? Voici une tentative de réponse qui porte sur l’architecture intérieure des espaces de travail.
L’environnement de production
C’est un espace ouvert qui compte 4 à 7 personnes que je nomme « la forge« . C’est la configuration d’un open space mais de taille modeste.
4 à 7 personnes par groupe est une valeur que je trouve d’expérience assez idéale pour une activité de développeurs car il y règne une bonne cohésion d’équipe et une saine émulation.
Notons que cela correspond à la taille d’équipe préconisée par les méthodes agiles.
Cette valeur perd de son sens pour un environnement stable qui permet de tayloriser les tâches.
Le regroupement des personnes dépend de l’activité ou du projet mais sa composition n’est pas nécessairement figée dans le temps.
La forge est un lieu de vie qui doit être agréable et habité. Dans cet espace, une table autour de laquelle les collaborateurs peuvent partager des instants de discussion informelle. Cafés bienvenus.
L’environnement d’échange et d’isolement.
A côté de la « forge », une petite salle est mise à disposition, je la nomme le « bocal« . Par économie d’espace, on peut considérer un bocal pour deux forges.
Le bocal est isolé de la forge de sorte à ne pas être distrait par les sollicitations externes et ne dérange pas ceux qui ne participent pas à l’échange.
Il est principalement utilisé pour des échanges, qui se veulent actifs et interactifs. J’apprécie que le bocal soit équipé d’un tableau effaçable que je préfère au bloc de papier par sa capacité de partager et faire évoluer les idées. Enfin, je proscris les outils techniques tels que vidéoprojecteurs, écrans interactifs, dont la technicité et le coté unidirectionnel distrait de l’essentiel.
Le bocal permet également de s’isoler, il peut être utilisé à des fins de réflexion ou pour un usage privé, toutefois pour une courte durée car le lieu ne doit pas être investi comme un second bureau.
Enfin, le bocal est disponible, c’est une denrée suffisamment abondante qui ne nécessite pas de réservation planifiée à long terme. Tel le besoin pressant, le jaillissement d’idées doit trouver un refuge n’importe quand.
L’environnement de brassage
Certainement le lieu le plus complexe à imaginer dans l’articulation d’un tout. Il s’agit de créer un lieu propice aux échanges inter-équipes. A noter qu’il peut s’agir d’équipes d’une même entreprise mais également d’un cluster d’entreprises indépendantes.
Cet espace commun doit permettre d’échanger des idées mais également des services comme une place de marché. Elle devrait avoir les caractéristiques suivantes :
- Être un lieu de passage quasi obligé (position centrale)
- Être agréable à fréquenter
- Proposer des ambiances ouvertes mais également plus intimes
- Permettre de voir et d’être vu.
Le regroupement de personnes dépend de l’activité ou des projets en cours mais n’est pas figé dans le temps. Un collaborateur n’est pas attaché à un groupe, il se déplace en fonction des besoins et de ses propres intérêts, ce qui exige une grande flexibilité organisationnelle.
Ainsi la constitution d’une équipe pour un projet peut se faire sur la place de marché dans une forme de cooptation. Ce qui a le mérite de diminuer les tensions interpersonnelles d’une équipe figée et condamnée à collaborer en dépit des envies.
Ce lieu de vie offre une flexibilité des espaces, il est ainsi possible de « privatiser » un espace à des fins de conférences et/ou de formation. Des conférences/formation interdisciplinaires et ouvertes à tous ceux qui le souhaitent sans aucune limite au sujets traités. Seul le succès du sujet arbitre une éventuelle pérennité de la conférence.
A ce titre j’aime l’anecdote rapportée par Steve Jobs, l’emblématique fondateur d’Apple qui avait signalé que la formation la plus marquante de son parcours avait été un cours sur la calligraphie, qu’il avait appliqué pour dessiner les polices de caractère du macintosh. De la diversité nait l’innovation.
Conclusions
Ce petit sujet n’a aucune prétention et se veut plutôt récréatif. Toutefois, il relève l’importance de comprendre le besoin et l’activité des usagers. Je pourrais citer nombre d’exemples de locaux inadaptés à l’usage qui en sont fait : école, petite enfance, ateliers et autres. Des locaux conçus à grands frais par des architectes plus soucieux de laisser une trace que de créer des espaces adaptés.
Pire, des espaces conçus dans une vision fantasmée d’une activité.
Finalement, c’est un plaidoyer pour une démarche de conception inspirée du design thinking.
Il faut interroger le client et se mettre en empathie avec lui. Il s’agit d’établir ce que les utilisateurs font, pensent, ressentent et disent afin de comprendre les besoins réels et non présupposés.
Enfin, j’aimerais beaucoup voir dans ma ville un espace dédié à des clusters d’entreprises du logiciel. Par le partage et l’émulation ainsi que la proximité des grandes écoles, il s’agirait de créer les conditions favorables à l’éclosion d’une véritable industrie du numérique.
© Pascal Rulfi, août 2021.
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